Éditorial

 

Sur les traces de Maupas

Incroyable ironie du sort ! À Sartilly, à la recherche du souvenir de Maupas, je tombe dans la rue qui porte son nom, sur un énorme panneau de sens interdit. Un esprit doté d'humour noir n'eût pas mieux fait, à moins peut- être de rajouter en-dessous le signe : << voie sans issue >> ! Dans le petit cimetière de ce gros bourg de Normandie, le tombeau et le mémorial sont imposants et bien entretenus. la justice, qui fléchit la tête devant l'impassibilité des quatre caporaux, efface sans doute l'aspect sordide de leur exécution mais donne à la scène un indéniable air de grandeur.

Pour en savoir plus sur l'affaire Maupas, je rends visite à Jacqueline Laisné. Cette passionnée a écrit le livre de référence sur l'affaire des caporaux de Souain¹.

Dans la préface à ce remarquable ouvrage, Joël Boudant écrit : << En donnant la parole aux soldats, l'auteur réussit à transgresser la loi du silence qui pése sur les archives >> . Étrange silence en effet que celui qui s'est abattu, pendant si longtemps, sur cette affaire. Toute la vie de blanche Herpin(née à Hudimesnil, dans la Manche, un jeudi 29 novembre 1883, à 8 heures du matin) fut vouée, à partir de cette terrible journée de mars 1915, à trouer cette chape de plomb qui s'était figée autour des condamnés. Rien ne prédisposait pourtant cette institutrice à ce travail de titan.

Blanche Marie Herpin était née de père inconnu et sa mère ne l'avait reconnue que 18 jours après sa naissance. Lingère au château de la commune, celle-ci devait devenir plus tard commerçante dans une épicerie de campagne. Dans cet univers bien modeste, l' intelligence de la jeune Blanche a du mal à s'épanouir et c'est dans les études qu'elle trouvera une sorte de revanche social. Son mariage avec un instituteur, sa réussite personnelle puisqu'elle est elle même institutrice, métier de grand prestige en ces époques, permettront à Blanche d'oublier ce statut de << bâtarde>>, alors infamant et lourd à porter.

La Grande Guerre fera voler en éclat ce fragile bonheur qui avait pourtant été renforcé par une maternité heureuse. À partir de l'exécution de Théo, on peut dire que la vie de Blanche ne lui appartient plus. À lire attentivement ses écrits, on comprend très vite qu'elle se sent investie d'une mission, et sa quête, qu'elle qualifie elle-même de quasi-obsessionnelle, ne cessera qu'à la réhabilitation complète de son époux et de ses compagnons d'infortune. Le nombre incroyable de démarches qu'il lui fallut accomplir, de dossier qu'il lui fallut établir, tracasseries qu'il lui fallut subir, aurait rapidement découragé le commun des mortels.

Mais Blanche Maupas était de la race de ceux qui ne cèdent pas, et, seule, la maladie faillit avoir raison d'elle. Elle enseignera et dirigera une école maternelle jusqu'en 1938. Elle disparaîtra le 24 septembre 1962 et elle aurait sans doute été fière de l'éloge funèbre que lui réserva Le Canard Enchaîné du 17 octobre 1962 : << Blanche Maupas n'aura été rien qu'une veuve, mais qu'elle veuve ! Elle était d'une trempe admirable, elle s'insurgea farouchement !

Si nous savons aujourd'hui ce que recelait le dossier le plus secret, le plus sale, le plus consternant de la gloire militaire, c'est d'abord à la petite institutrice du chefresne, à Madame Blanche Maupas que nous le devons.

Il serait injuste, n'est-ce pas ? que la courageuse vielle dame s'en allât sans notre affectueux regret, vers un monde où s'il est meilleur que le nôtre, le sieur Réveilhac doit passer un drôle de quart d'heure!>>

                                                                                 Jean-Paul Alègre

 

 1. Pour l'honneur de Théo et des caporaux de souain, fusillés le 17 mars 1915. Éditions Isoète, 123 rue Émile Zola. 50100 Cherbourg.